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    Drapeaux en berne à Nice, le 16 juillet.

    La violence aveugle a encore frappé en France, à Nice. Tant de victimes qui n’ont eu qu’un tort, se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Alors que l’enquête ne fait que débuter, qu’aucune explication crédible n’est démontrée, le bal des vautours médiatiques et politiques s’est ouvert en grande pompe.

    J’ai tenu cinq minutes devant une chaîne d’information en continu.

    Des pseudos experts se bousculaient déjà à l’antenne alors que je décelais une excitation malsaine de la part des journalistes en plateau. Lors de la finale de l’Euro de football, les 30 secondes de publicité à la mi-temps coûtaient 260 000 euros. Pour les terroristes, la publicité est gratuite, elle est offerte par les médias et la classe politique. Le Président de la République a qualifié l’acte de terrorisme islamique quelques heures après le drame et plus de trente heures avant les premiers éléments sur la « radicalisation très rapide » de l’auteur de l’attentat dévoilés par son ministre de l’intérieur. Est-ce la sérénité que l’on est en droit d’attendre d’un chef d’Etat ? C’est le temps de la compassion pour les victimes avant tout. Répandre la peur, c’est le boulot des terroristes, pas des hommes d’Etat ni des médias.

    La peur est devenue un business

    Sur les plateaux s’empilent les supputations, se succèdent les experts de la guerre et de la peur alors que le monde a cruellement besoin d’experts de la paix. Les témoignages diffusés à l’antenne ainsi que les images confinent bien plus au voyeurisme qu’au devoir d’informer. Ce n’est plus de l’information, c’est de la mise en scène. Dans de telles circonstances, le devoir d’informer impliquerait de reléguer au second plan l’obsession de l’audimat. Il faut croire que les terroristes savent mieux profiter de nos faiblesses que nous des leurs.

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    La peur est devenue un formidable business. Les médias s’en donnent à cœur joie, les experts fleurissent, les politiques se prennent pour des chefs de guerre. L’hystérie a gagné notre République. Pas un homme ou une femme politique pour penser le monde différemment.

    Affleurent à chaque propos la loi du Talion, la loi de l’instinct animal, celui de la vengeance. Gandhi disait qu’à appliquer la loi de l’œil pour œil, l’humanité finira aveugle. Elle l’est devenue. Nous n’offrons plus que la guerre comme réponse. La même réponse que les terroristes.

    Combattre le terrorisme par l’éducation

    Le moine bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh, dans son remarquable livre Apaiser l’esprit face à la violence, nous montre la voie : « les racines du terrorisme sont l’incompréhension, la peur, la colère et la haine, et les militaires ne peuvent pas les repérer. Les missiles et les bombes ne peuvent pas les atteindre et encore moins les détruire ». Lorsque la Pakistanaise Malala, prix de Nobel de la Paix à 17 ans et rescapée des Taliban, a rencontré Barack Obama, elle lui a dit une chose : arrêtez de combattre le terrorisme par la guerre et faites-le par l’éducation et l’instruction.

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    Nous autres Occidentaux prétendons diffuser des valeurs universelles au monde mais la réalité est que nous avons une culture de la guerre profondément ancrée en nous. C’est la réflexion que je me suis faite lors du défilé du 14 juillet. 80 % du défilé est consacré à la guerre. Le 14 juillet est la fête de la nation. Si les forces armées méritent la reconnaissance de notre pays, elles ne peuvent pas à elles seules le symboliser. Pourquoi, en plus des sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes, ne pas faire défiler des médecins, des professeurs, des infirmiers et infirmières, des assistantes sociales, des éboueurs, des jeunes, des personnes en situation de handicap et j’en passe ?

    Je vous épargne aussi le côté totalement monarchique de la mise en scène dudit défilé, François Hollande étant le seul dans la tribune à avoir un fauteuil quand tous les autres officiels n’ont droit qu’à une chaise…

    Quels efforts pour la paix ?

    Repenser notre rapport au monde, voilà l’urgence. Mandela rappelait que les oppresseurs et les opprimés avaient un point commun : ils étaient tous privés de leur humanité. Les victimes et les terroristes sont dans le même cas. Il est vrai que regarder le monde ainsi nécessite de l’audace, beaucoup d’audace. Quand on a pour seul cap les sondages et l’audimat, alors la démagogie et le sensationnel paraissent de bien meilleurs alliés. Cette hystérie médiatico-politique diffuse la peur dans tout le pays. On peut se demander dans quelle mesure cette hystérie ne contribue pas non plus au passage à l’acte. Il serait utile de faire une pause après de tels événements pour que les médias et les politiques réfléchissent à leurs actions et discours comme antidotes à la violence. Aujourd’hui ils ne sont pas un remède mais une formidable caisse de résonance surfant sur les émotions.

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    Si la riposte sécuritaire est incontestablement une partie de la réponse, elle ne peut pas être mise en scène ainsi ni promue comme le cœur de l’action politique. C’est d’abord ignorer les leçons d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie, mais ce n’est surtout pas digne de la vieille Europe qui par la voix de Dominique de Villepin en 2003 rappelait à la tribune des Nations Unies que si « l’option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide, n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre il faut construire la paix ».

    La France a envoyé 5 000 soldats au Mali pour faire la guerre et combien de personnes pour faire la paix ? Une seule, un diplomate de renfort à l’ambassade de France… On est capable de consacrer des milliards à la guerre, des années d’opérations militaires à travers le monde mais sommes-nous capables de ces mêmes efforts pour la paix ? Il est vrai que construire la paix nécessite discrétion, humilité, persévérance et tolérance. Des qualités que je cherche toujours au sein de la classe politique française.

    Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.


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