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«Les écrans créent des cerveaux fanés»
Par Michel Desmurget - le 09/07/2015AVIS D'EXPERT- Pour Michel Desmurget, chercheur l'Inserm spécialisé en neurosciences cognitives, l'abus d'écrans récréatifs est réellement néfaste pour les enfants.Chaque jour, nos enfants passent entre cinq et sept heures devant une large diversité d'écrans récréatifs (télévision, jeux vidéo, smartphones, etc.). Or une abondante littérature scientifique montre que ces derniers ont, au-delà de trente minutes, une influence délétère majeure dans nombre de domaines dont l'acquisition du langage, le déploiement de l'intelligence, le développement des facultés de concentration, la réussite scolaire ou l'obésité. Le grand public a peu d'accès à cette réalité, en raison d'une information largement biaisée.
Les écrans sont partout. Pour certains, s'opposer à cette propagation frénétique serait aussi avisé que de souhaiter le retour de la charrue à bras. Comme les nouvelles générations sont «nées dans le numérique», écrit ainsi l'Académie des sciences dans un avis de 2013, «il ne sera possible que de réduire à la marge le temps d'exposition aux écrans». Souvent s'ajoute à cet argument la menace de transformer l'enfant déconnecté en un paria social.
Pourtant, les usages numériques récréatifs sont inversement proportionnels à l'aisance socio-économique des familles. En d'autres termes, le caractère incontournable des écrans s'arrête aux portes des classes favorisées. Il frappe en priorité les plus modestes. Comme l'a montré un récent article du New York Times, les cadres dirigeants de l'industrie numérique eux-mêmes (Steve Jobs compris) prennent grand soin à ne pas exposer leur progéniture parce que, déclare l'un d'eux, «nous avons vu de première main les dangers de la technologie (…). Je ne veux pas que cela arrive à mes enfants».
Intérêts économiques
Trouver des vertus aux écrans permet d'étouffer les réticences parentales. L'approche consiste à hypertrophier la portée du moindre micro-élément favorable. Prenez par exemple ce travail montrant que les jeux vidéo d'action ont un effet positif sur la dyslexie. Des jeux «au secours de la dyslexie», qui «améliorent les capacités de lecture des enfants» et doivent être «recommandés aux dyslexiques», s'est enthousiasmée la presse nationale. En réalité, l'étude montrait juste, chez certains enfants présentant un type minoritaire de dyslexie, que de tels jeux abaissent d'une poignée de millisecondes le temps mis pour décoder un mot. Conclusion des auteurs, il faudrait maintenant regarder si ces jeux ont un effet sur l'aptitude des enfants à lire (au sens de: à comprendre ce qu'ils lisent). Bémol de taille, non évoqué dans les journaux.
L'omission de données scientifiques est également courante. Largement repris dans les médias, le travail de l'Académie des sciences en constitue un bel exemple. Selon les auteurs, les jeux d'action «améliorent (les) capacités d'attention visuelle, de concentration et facilitent, grâce à cela, la prise de décision rapide». En réalité, ces jeux améliorent, au mieux, certaines compétences périphériques d'attention exogènes telle la reconnaissance de pattern visuels. Dans le même temps, toutefois, ils ont un effet négatif marqué sur l'attention focalisée endogène étroitement liée à la réussite scolaire (ce que les parents appellent concentration). De cela, notre Académie ne dit rien. Elle survend un bénéfice mineur et omet de mentionner une atteinte essentielle que même Microsoft a récemment dénoncée dans une étude marketing, suggérant aux publicitaires, pour optimiser leurs campagnes, de tenir compte de l'effondrement des compétences attentionnelles des «digital natives». L'Académie ne précise pas non plus que ces jeux d'action largement diffusés dès le primaire sont souvent déconseillés aux moins de 18 ans, car farcis de violence extrême (jusqu'à la torture) et de pornographie explicite (fellation, coït). L'impact de tels contenus sur l'agressivité, l'anxiété, les préjugés sexistes ou les troubles de sommeil ne fait plus aujourd'hui aucun doute pour la communauté scientifique, même si l'on peut toujours trouver un poisson volant pour affirmer le contraire.
Des intérêts économiques considérables
L'Académie des sciences affirme aussi que les tablettes tactiles suscitent «l'éveil précoce des bébés (0-2 ans) au monde des écrans, car c'est le format le plus proche de leur intelligence». L'allégation est purement gratuite. L'un des auteurs de la citation écrivait d'ailleurs dans un grand quotidien national, quelques semaines avant la parution de l'avis, qu'«avant l'âge de 3 ans les tablettes sont nuisibles (… parce que) limitant la relation au monde».
Cette présentation déformée de la réalité sert des intérêts économiques considérables. Mais à trop regarder la colonne des recettes, on néglige celle des coûts. C'est ennuyeux car les payeurs sont rarement, nous l'avons vu, les enfants des classes privilégiées. Ceux-là sont préservés.
Les victimes, ce sont «les autres», ceux dont on nous dit chaque jour qu'ils ont été abandonnés par une école républicaine honteusement inégalitaire. L'attaque est facile. Elle omet toutefois de préciser que même le meilleur enseignant ne pourra jamais agir efficacement sur un cerveau fané, engorgé d'une perpétuelle bourbe numérique. Nul ne sait faire pousser des roses sur l'aridité d'un sable désertique.
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Commentaires
Il y a mieux à faire avec un enfant que le coller devant un écran: c'est souvent choisir la facilité pour avoir la paix ou gagner du temps! Le prix à payer est trop grand : nos enfants sont notre seule richesse...préservons les!..
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Il y a en effet un travail considérable à effectuer. Nous devons alerter, nous enseignants, certains parents et il y en a de plus en plus, leur faire prendre conscience qu'il y a là un réel danger : L'usage des écrans avant l'âge de 6 ans.
Isadis7